Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL
Fondateur de la Chaire Économie du Climat
Dans la salve des premiers décrets présidentiels de Joe Biden, a figuré celui ramenant les États-Unis dans l’Accord de Paris. Avec John Kerry à la tête de la diplomatie climatique, les États-Unis disposent d’une équipe aguerrie. Son premier test grandeur nature arrive avec le Leaders Summit on Climate convoqué par la Maison Blanche les 22 et 23 avril, à huit mois de la COP de Glasgow.
Vis-à-vis de ses pairs, Biden y joue sa crédibilité, altérée par les multiples volte-faces des États-Unis dans la négociation climatique : adoption du protocole de Kyoto sous Clinton (1997), abandonné par l’administration Bush (2001) ; engagements d’Obama à Copenhague (2009), rejetés l’année suivante par le Congrès ; ratification de l’accord de Paris en 2016, dénoncée par Donald Trump dès son arrivée à la Maison Blanche.
Première condition de la crédibilité : remplir correctement la corbeille
On peut compter sur le ticket Biden/Kerry pour réaffirmer l’ambition de neutralité climatique à l’horizon 2050. C’est désormais une formule obligée en matière de diplomatie climatique. La question cruciale concerne l’objectif intermédiaire de 2030 permettant d’y arriver.
La contribution déposée(1) en 2015 par les États-Unis d’Obama dans le cadre de l’accord de Paris portait sur une baisse de 26-28% des émissions entre 2005 et 2025. Si l’administration Biden se contentait de cet objectif, ce serait un manque total d’ambition. Elle a déjà donné le ton en annonçant à l’amont du sommet que ses engagements internationaux seront réévalués. Mais à quelle hauteur fixer la nouvelle marche d’escalier ?
Reprenant les propositions(2) de l’économiste Keohane qui fut conseiller énergie-climat de Barak Obama, une coalition(3)de 300 chefs d’entreprise préconise de viser une baisse des émissions de 50% entre 2005 et 2030. Cela représenterait un effort d’ici 2030 d’un ordre de grandeur comparables à la baisse de 55% relativement à 1990 désormais visée par l’UE.
Les États-Unis fixent leurs objectifs de réduction d’émission relativement à 2005 et l’UE relativement à 1990. Un objectif de réduction de 55% relativement à 1990 pour l’UE représente un effort de - 51 % relativement à 2005, soit un niveau proche de l’objectif proposé par Nathaniel Keohan pour les États-Unis.
Le premier test pour la crédibilité de Joe Biden concernera ce chiffre. Si les États-Unis restent en dessous, ce serait un mauvais signal. S’ils fixent la barre plus haut, ce serait un nouvel avertissement au vieux continent, après celui de son plan de relance qui révèle une Europe plutôt timorée au regard des milliards injectés dans l’économie américaine.
Le test du passage devant le Congrès
Le second test de crédibilité sera le plus déterminant. Il se déroulera au Congrès où Joe Biden doit faire passer l’American Jobs Plan projetant d’injecter plus de 2 trillions de dollars d’investissement dans l’économie. Sur ces montants, la moitié (environ 0,6% du PIB) est directement fléchée sur la transition bas carbone, avec deux objectifs prioritaires : totalement décarboner la production d’électricité d’ici 2035 ; basculer l’industrie automobile vers le tout électrique.
Bien qu’en retrait sur les promesses de campagne, ce plan injecterait dans la transition bas carbone bien plus que ce qui avait été envisagé par les précédentes administrations démocrates. Mais le jeu va être compliqué au Sénat où les Démocrates ne disposent que d’une voix d’écart. Les tractations y seront âpres et pourraient édulcorer les ambitions initiales.
Même si le plan sort intact de l’examen de passage, il risque de ne pas être suffisant pour atteindre les objectifs visés. Il fournit bien une masse impressionnante d’incitations à investir dans le bas carbone, mais reste timoré sur le volet le plus complexe de la transition pour un gros producteur d’énergie : le désinvestissement des énergies fossiles.
Comme l’a analysé(4) l’économiste Robert Stavins, un compromis est plus facilement trouvé au Congrès sur des mesures de relance à base de ristournes fiscales et de subventions que sur l’instrument clef pour accélérer la sortie des fossiles : la taxation du CO2. Le renoncement à cette mesure, pourtant présente (de façon assez floue) dans le programme de campagne est la grande faiblesse des propositions actuelles.
Une telle taxation permettrait en premier lieu de sécuriser les dépenses additionnelles pour le budget fédéral, un gage important de crédibilité : les facilités actuelles du financement monétaire et de la faiblesse des taux d’intérêt en résultant sont difficilement extrapolables à l’horizon 2030.
En l’absence d’une tarification carbone ambitieuse, cette bataille impliquera la multiplication de réglementations qui deviendront bien vite plus impopulaires qu’une taxe carbone correctement paramétrée et redistribuée.
Surtout, une trajectoire ambitieuse de prix du CO2 accélérerait le retrait des énergies fossiles du fait de leur renchérissement. Ce retrait de l’addiction aux fossiles pose un problème de restructuration industrielle majeur pour une économie dont des pans entiers reposent sur la disponibilité d’une énergie fossile à bas prix extraite localement.
Durant sa présidence, Obama a amorcé le retrait de l’utilisation du charbon dans le secteur électrique que n’a pas pu inverser l’administration Trump. Malgré l’introduction de normes sur les émissions des véhicules automobiles et le blocage du projet d’extension de l’oléoduc Keystone(5), son administration n’a pas lancé une dynamique équivalente sur le pétrole et le gaz d’origine fossile.
La véritable crédibilité de Biden apparaîtra s’il parvient à amplifier la sortie des énergies fossiles, en l’élargissant au pétrole et au gaz d’origine fossile. C’est la mère de toutes les batailles. En l’absence d’une tarification carbone ambitieuse, cette bataille impliquera la multiplication de réglementations qui deviendront bien vite plus impopulaires qu’une taxe carbone correctement paramétrée et redistribuée.
Les effets d’entraînement potentiels : transition bas carbone et accès au développement
Au plan externe, les effets d’entraînement potentiels du sommet Biden concernent en premier lieu la Chine et l’UE. La position de l’UE est déjà connue. Le Leaders Summit pourra-t-il clarifier celle de la Chine ?
À l’origine de plus du quart des émissions mondiales, la voix de la Chine pèse lourd, mais est devenue parfaitement inaudible. Lors de l’Assemblée annuelle des Nations Unies de septembre 2020, le Président Xi Jinping s’est prononcé en faveur de la neutralité climatique à l’horizon 2060. Un pas dans la bonne direction. Simultanément, les réglementations intérieures gelant les investissements dans le charbon ont été assouplies. En 2020, pour la première fois depuis 2015(6), les investissements dans les nouvelles capacités d’électricité « thermique » ont augmenté : un pas en arrière qui pourrait remettre en cause la très forte inflexion des émissions chinoises de la dernière décennie.
Clarifier la position de la Chine serait un livrable conséquent du sommet. Ses effets d’entraînement les plus importantes concernent cependant le « reste du monde » devenu, devant la Chine, le plus gros contributeur à l’accroissement des émissions mondiales.
En 2018, les 3 premiers émetteurs de gaz à effet de serre (Chine, États-Unis et UE-28) ont représenté 47 % des rejets mondiaux de GES. Le « reste du monde » en a représenté 53%. C’est lui qui a le plus contribué à l’accroissement des émissions mondiales durant la dernière décennie.
Au sein de ce groupe, les pays producteurs et exportateurs d’énergie fossile sont ceux qui ont le plus accru leurs émissions. Depuis la COP1 (Berlin, 1995), ils jouent la montre en freinant ou bloquant les négociations. Il convient de les réintégrer dans le processus car il sera impossible de viser une cible de réchauffement inférieure à 2°C sans une réorganisation drastique de leurs économies. Au plan politique, cela constitue un objectif aussi complexe que d’entraîner, dans le contexte américain, le Wyoming ou le North Dakota dans la transition bas carbone...
Les pays moins avancés, pèsent encore peu dans les émissions mondiales du fait de la faiblesse de leurs rejets par habitant. S’ils reproduisent les sentiers de croissance historiques reposant sur les énergies fossiles, ils seront demain les plus gros émetteurs mondiaux. Pour l’éviter, il convient d’amorcer directement la transition bas carbone par un gigantesque effort d’investissement élargissant l’accès à l’énergie(7) dont est privée une grande partie de leur population. Si le sommet de la Maison Blanche ouvrait cette voie, il pourrait constituer un point d’inflexion majeur dans l’action climatique internationale.
- U.S.A. First NDC Submission
- The U.S. will withdraw from the Paris Agreement on Wednesday. But for how long?, Environmental Defense Fund, 2 novembre 2020
- Businesses & Investors Call for Ambitious U.S. NDC, We Mean Business Coalition
- International Climate Change Policy & Action in the Biden Administration, Blog de Robert Stavins, 14 janvier 2021
- Trump Revives Keystone Pipeline Rejected by Obama, The New York Times, 24 janvier 2017
- Boom and Bust 2021, Global Energy Monitor, Sierra Club, CREA, Climate Risk Horizons, GreenID, Ekosfer.
- Accès à l’énergie : Pour un « Green New Deal » au sud du Sahara, ID4D, 2 décembre 2019
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