Prélude à l’Airbus des batteries en Charente ?

Usine pilote de batteries de Nersac

L’usine pilote de Nersac fait l’objet d’un investissement total de 200 millions d’euros. (©Saft)

En Charente, le projet d'usine pilote de batteries pour voitures électriques a été officiellement lancé le 30 janvier à Nersac, en présence d’Emmanuel Macron, Bruno le Maire et de représentants du gouvernement allemand.

Une usine pilote avant les grandes manœuvres

L’histoire des « batteries européennes » passe par Nersac, sur les terres de Saft (filiale du groupe Total) qui dispose déjà d’une usine dans cette commune de Charente(1). La nouvelle installation pilote qui va y être bâtie fabriquera des batteries dédiées aux voitures électriques. L'originalité du site ne résidera pas dans la technologie desdites batteries (lithium-ion) mais dans « la manière de mettre en œuvre le procédé industriel, testée ici à petite échelle », indique Clément Le Roy, Senior manager chez Wavestone.

Le site de Nersac, dont le démarrage est prévu mi-2021, constitue en effet une « première étape »(2) avant la construction d’usines de très grande taille. Saft rappelle qu’une « gigafactory » pourrait par la suite être construite dans la région Hauts-de-France (sur le site de Douvrin où le groupe PSA est implanté) et une seconde en Allemagne (avec une capacité de production par site de « 8 GWh dans un premier temps, 24 GWh à terme […] pour atteindre à horizon 2030 une capacité cumulée de 48 GWh »).

Les implantations des futures usines géantes de batteries feront encore l’objet de négociations ardues (contrairement à l’attribution du site pilote), prévient toutefois Clément Le Roy. La production totale des 2 sites envisagés pourrait atteindre, à l’horizon 2030, « 1 million de batteries par an, soit environ 10 à 15% du marché européen », selon Saft qui évoque 5 milliards d’euros d’investissements dédiés.

À l'occasion de l'inauguration de l’usine pilote de Nersac, Total via sa filiale Saft et PSA/Opel ont annoncé leur intention de créer une société commune baptisée ACC (Automotive Cell Company)(3) dans le cadre du développement de leur activité de production de batteries en Europe.

Un Airbus des batteries ?

Rappelons que la Commission européenne a lancé fin 2017 une plateforme « European Battery Alliance » visant à rassembler les États membres intéressés, les acteurs industriels et la Banque européenne d’investissement notamment en vue de créer « une chaîne de fabrication compétitive en Europe de cellules de batteries durables »(4).

À l’heure actuelle, la production mondiale de batteries pour véhicules électriques est concentrée en Asie mais Clément Le Roy estime qu’il n’est pas trop tard pour les acteurs européens, compte tenu des perspectives de développement de la mobilité électrique dans l'UE. Le consultant de Wavestone rappelle en outre que « 40% de la valeur d’un véhicule électrique réside dans sa batterie »(5). Même avec les progrès technologiques à venir, il estime que la batterie continuera à compter pour « 25% à 30% de la valeur d’un modèle électrique ».

En décembre 2019, la Commission européenne a autorisé une aide de 3,2 milliards d’euros de 7 États (France et Allemagne en tête(6)) à un ensemble de 17 entreprises, grands groupes ou PME, censées incarner le futur « Airbus des batteries » (incluant notamment PSA et Saft). 

Dans cette perspective, l’accent est essentiellement mis sur la fabrication et l’assemblage des batteries tandis que le domaine de l’extraction des matières premières est actuellement laissé de côté. Les grands acteurs du stockage comme « Panasonic ou Tesla ont actuellement la mainmise sur les mines » mais l’Airbus des batteries doit toutefois permettre de mettre fin à ce « droit de préemption » en envoyant « un signal aux pays disposant de fortes ressources (Chili, Afrique du Sud, Congo, etc.) que l’Europe est de retour dans le jeu diplomatique des matières premières », souligne Clément Le Roy(7).

S’il est aujourd’hui question d’un Airbus des batteries, il est probable que les acteurs contribuant à son émergence et coopérant aujourd’hui se scindent ultérieurement en « 3 à 4 sous-consortiums concurrents », estime Clément Le Roy. Ces acteurs ne sont par ailleurs pas seuls dans la course aux batteries européennes, comme l’attestent entre autres les projets de « gigafactory » de Northvolt en Suède ou de Tesla près de Berlin.

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Sources / Notes
  1. Saft dispose également de sites à Bordeaux et Poitiers. Jusqu’ici, la production du groupe français est essentiellement orientée vers l’aéronautique, le naval, le ferroviaire ou le médical : « une grande partie des avions construits dans le monde contiennent des éléments de stockage de Saft », rappelle Clément Le Roy, Senior manager chez Wavestone.
  2. Le site devrait être en mesure de produire « quelques milliers de batteries par an, contre 130 000 à 170 000 batteries par an dans le cas d’une gigafactory », précise Clément Le Roy.
  3. La Commission européenne a adopté un plan d'action stratégique pour les batteries en mai 2018.
  4. La Commission européenne a conclu que le PIIEC (projet important d'intérêt européen commun) sur les batteries notifié par les 7 États membres était conforme aux règles de l'UE en matière d'aides d'État.
  5. La chaîne de traction incluant le moteur compterait pour la moitié d’un véhicule électrique, contre près de 20% pour un véhicule thermique, selon Clément Le Roy.
  6. Aides d'État : la Commission autorise une aide publique de 3,2 milliards € accordée par sept États membres pour un projet paneuropéen de recherche et d'innovation dans tous les segments de la chaîne de valeur des batteries, Commission européenne, 9 décembre 2019. « La Belgique a demandé l'autorisation de fournir une aide allant jusqu'à 80 millions € environ ; la Finlande, une aide allant jusqu'à 30 millions € environ ; la France, jusqu'à 960 millions € environ ; l'Allemagne, jusqu'à 1,25 milliard € environ ; l'Italie, jusqu'à 570 millions € environ ; la Pologne, jusqu'à 240 millions € et la Suède, jusqu'à 50 millions € environ ».
  7. La R&D sur de nouvelles technologies (batteries à sodium-ion, lithium-soufre, lithium-ion à électrolyte solide, etc.) va par ailleurs se poursuivre en Europe mais le consultant de Wavestone estime que « près de 10 ans de balbutiements » sont encore à venir avant une éventuelle rupture.

 

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